Politique jeunesse : regard de la Plateforme pour un BBPJ sur le quinquennat 2017-2022
Précarité, déscolarisation, mal-être, manque de perspectives : les moins de 25 ans font partie de ceux qui semblent payer le plus lourd tribut à la crise du Covid-19. Les difficultés inquiétantes qu’ils rencontrent existaient déjà, mais la crise, les a fortement accentuées.
A la veille des prochaines échéances électorales et à l’occasion de la Présidence française de l’Union européenne, l’Etat français ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur ses politiques vis-à-vis des jeunes.
Le gouvernement a affiché sa volonté d’agir et a tenté d’apporter des réponses concrètes pour la jeunesse, à l’instar du plan « #1 jeune #1 solution ». Cependant, d’autres efforts ont été plus contradictoires. Ainsi, la création du Revenu Universel d’Activité (RUA) qui aurait pu inclure les 18-25 ans n’a pas abouti. La réforme des Aides Personnalisées au Logement (APL) et de l’assurance chômage, sont également difficilement compréhensibles au vu de leur impact négatif spécifique sur les jeunes.
Face à cet habituel empilement de dispositifs, ciblant certaines catégories de jeunes et déconnectés les uns des autres, une politique de jeunesse structurelle et transversale est aujourd’hui nécessaire.
Il est urgent d’apporter des solutions de long terme à la situation des jeunes. C’est pourquoi nous portons une contribution aux débats qui émailleront la campagne pour les élections présidentielle et législatives.
Des constats partagés par les associations de jeunesse et d’éducation populaire:
Les jeunes n’ont pas été suffisamment associés aux décisions politiques durant ce quinquennat
- Nous observons une relation insuffisante avec les organisations de jeunesse et d’éducation populaire et l’ensemble des corps intermédiaires.
- Nous n’avons noté aucune avancée significative pour faire une place aux jeunes au sein des institutions. L’absence de comité interministériel pour la jeunesse durant ce quinquennat est parlante. Le renouvellement du Conseil Économique Social et Environnement (CESE) s’est fait en partie au détriment de la représentation des jeunes puisque le groupe des Organisations Étudiantes et Mouvements de jeunesse a perdu un siège. La manière dont les jeunes sont associés aux travaux du Conseil d’Orientation des Politiques de Jeunesse mériterait d’être améliorée et les avis sont inégalement pris en compte par le gouvernement.
- Au contraire, on a stigmatisé les jeunes sur les questions de laïcité, d’incivilité, d’assistanat et de diffusion de l’épidémie.
Une volonté affirmée pour plus de cohésion sociale entre les jeunesses avec le Service National Universel (SNU), au détriment d’autres politiques en direction de la jeunesse
- Si nous partageons l’objectif du SNU de créer une mixité sociale entre les jeunesses, on ne peut que s’interroger sur l’équilibre “emplois – ressources” de cette politique qui mobilise énormément de moyens financiers pour peu de résultats (65 millions d’euros en 2021, 110 millions d’euros en 2022).
- La dimension obligatoire liée à l’engagement va à l’encontre de ce que défendent de nombreuses associations d’éducation populaire. Non seulement elle ne permet pas d’inclure les jeunes mais elle tend même à les exclure.
- Le SNU n’est pas adapté à tous les jeunes, notamment les jeunes en situation de handicap.
Une mobilisation pour l’emploi des jeunes discontinue sur l’ensemble du mandat, avec des porosités choisies entre dispositif d’emploi et dispositif d’engagement
- La plateforme « #1 jeune #1 solution » est un catalogue de solutions d’urgence en ligne et de dispositifs qui traduit à l’empilement des dispositifs à destination des jeunes, sans vision transversale qui permettrait de les adapter aux publics les plus précaires.
- Le service civique est de plus en plus assimilé à un dispositif d’emploi ce qui crée de la confusion pour les jeunes et des dérives dans les missions proposées (à responsabilité notamment).
- La création du Contrat d’engagement jeune (CEJ), en remplacement de la Garantie jeune, entretient la confusion et éloigne les jeunes d’un droit ouvert à tous sans condition. L’inclusion des jeunes travailleurs précaires y est encore insuffisante.
- La poursuite de la course aux chiffres sans mise à disposition des moyens suffisants pour assurer un accompagnement de qualité aux jeunes est problématique. Les missions locales ont besoin de moyens suffisants pour proposer un accompagnement global prenant en compte toutes les facettes de la vie des jeunes.
- La lutte contre le non-recours aux droits des jeunes est insuffisante.
Accès aux droits sociaux des jeunes : il n’y a pas de volonté de créer les conditions de l’autonomie
- Le débat chronophage autour de l’accès des jeunes au Revenu de Solidarité Active et aux minimas sociaux n’a pas répondu à la précarité grandissante des jeunes laissés sans filet de sécurité entre 18 et 25 ans. Ils sont de plus en plus nombreux à renoncer à des soins du fait d’un budget contraint. Ils doivent compter sur la solidarité familiale, ce qui renforce les inégalités et les déterminismes sociaux injustes.
- Les deux réformes des Aides Personnalisées au Logement ont fortement diminué les montants perçus par les jeunes, alors qu’il s’agit d’une part de la population particulièrement en instabilité vis à vis du logement.
- La réforme de l’assurance chômage touche tout particulièrement les personnes qui ont des contrats courts. Les jeunes sont donc particulièrement concernés et précarisés par l’allongement des durées de cotisation. Par ailleurs, l’augmentation des embauches sous le statut d’auto-entrepreneurs, avec le développement des formes d’emplois dites « ubérisées », risque de renforcer ces situations d’insécurité auxquelles les jeunes sont de plus en plus confrontés.
Sécuriser les parcours des jeunes : la crise a renforcé le nombre de ruptures
- Certains parcours de formations ont été freinés pendant la pandémie et continuent de l’être dans certaines académies où, par exemple, le non-remplacement de certains professeurs n’est pas assuré depuis la rentrée de septembre. Certains jeunes n’étaient pas équipés pour suivre les cours à distance.
- Des jeunes ont perdu leur emploi (emplois étudiants, emplois saisonniers,) et n’ont plus les moyens financiers pour assurer leur quotidien dans le cadre d’une formation.
- Les étudiants ont difficilement supporté l’isolement, ce qui a renforcé le décrochage scolaire et le développement de troubles psychologiques.
10 propositions pour des politiques de jeunesses à long terme, transversales et ambitieuses
De manière générale, il est nécessaire de construire des politiques de jeunesse ambitieuses et transversales et de les penser au-delà de la réponse à une situation d’urgence et de crise majeure. Les réponses apportées aux enjeux ne peuvent être ni seulement de court terme, ni l’empilement de dispositifs.
Minimas sociaux et revenus
Il s’agit de permettre aux jeunes d’accéder au droit commun et de bénéficier de politiques transversales intégrant le logement, la santé, les aides sociales etc.
Ainsi, 32,7 % des jeunes ayant répondu à l’enquête Focus Jeunes de la CFDT de juin 2021[1], la mesure prioritaire à mettre en place est un revenu universel sous conditions ; 19,4 % considèrent qu’il faut prioritairement ouvrir l’accès au RSA aux moins de 25 ans.
Proposition 1 : Permettre l’accès des jeunes de moins de 25 ans à un Revenu de Solidarité Active (RSA) revalorisé au-dessus du seuil de pauvreté. Cette mesure est une mesure d’urgence, qui vise à répondre à la crise économique subie par les jeunes aujourd’hui. Elle est liée au droit à l’accompagnement de tous les jeunes, pour bénéficier de l’ensemble de leurs droits. Elle n’est pas satisfaisante sur le long terme, car le montant du RSA se trouve sous le seuil de pauvreté.
Proposition 2 : Ouvrir le droit à l’assurance chômage pour les jeunes à l’issue d’une première expérience professionnelle d’une durée supérieure à 2 mois. Dans un contexte de multiplication des contrats de travail de courte durée, l’assurance chômage doit prendre en compte ce contexte d’emploi, pour lutter contre la précarité liée au travail, notamment chez les jeunes.
Éducation et formation
En ligne avec le principe d’égalité des chances, il est nécessaire de donner à tous les jeunes le droit effectif à une orientation ambitieuse et choisie. L’éducation et la formation, dès le plus jeune âge, permet de combattre les inégalités entre milieux urbains et ruraux ; femmes et hommes ; milieux favorisés et défavorisés).
Proposition 3 : Repenser l’accompagnement des jeunes dans leur orientation, en renforçant une approche par compétence, à inscrire dans le diplôme afin d’éviter d’enfermer les jeunes dans une voie. Pour que ce qui est aujourd’hui considéré comme un échec puisse être vu comme une expérience et une source d’apprentissage, le « droit à l’erreur » doit être valorisé pour le considérer comme un droit faisant partie du parcours d’un jeune. L’accompagnement des jeunes, doit leur permettre de penser une orientation ambitieuse et choisie, et d’être acteurs de leur orientation.
Proposition 4 : Développer une offre de formation accessible et proposée à tous, ce tout au long de la vie. La formation doit être reconnue à l’école, mais aussi en dehors de l’école dans les espaces d’éducation informelle. La place des associations d’éducation populaire et des organisations de jeunesses doit être réellement pensée en complémentarité de l’école. Dégager du temps dans l’emploi du temps scolaire, permettrait aux jeunes de se libérer du pour s’engager volontairement.
Logement
L’accès à un logement digne doit être considéré comme un droit fondamental favorisant l’émancipation des jeunes. Un logement digne passe également par ses dimensions écologiques et sociales. Parmi les 10% de jeunes qui ne résident pas en logement autonome et n’ayant jamais envisagé de sauter le pas, 40% considèrent le coût du logement et de la vie comme les premiers freins à la décohabitation[2].
Proposition 5 : Revaloriser et harmoniser les modalités de calcul des Aides Personnalisées au Logement (APL) pour tous les jeunes de moins de 30 ans. Les APL sont aujourd’hui, la seule aide non-familialisée dont bénéficient les jeunes. Elles doivent permettre de stabiliser la situation des jeunes pour éviter toute rupture dans les parcours.
Proposition 6 : Programmer un plan pluriannuel de développement d’une offre de logement pour les jeunes articulée au plan du gouvernement (60 000 pour les étudiants et 20 000 pour les jeunes actifs) inscrits dans une stratégie plus large de développement des logements sociaux, y-compris pour les jeunes. Les jeunes, notamment ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, sont confrontés à un déficit de logements auxquels ils peuvent accéder. La politique de logement de demain, doit intégrer toutes les générations, notamment les jeunes, afin de penser les logements comme vecteur de brassage social et de mixité.
Mobilités
Dans son rapport « Les filles du coin – enquête sur les jeunes femmes en milieu rural »[3], Yaëlle Amsellem-Mainguy explique : « La question de la mobilité est quant à elle transversale à tous les instants de la vie quotidienne et à tous les âges de la vie. L’inadaptation de l’offre de transports en commun est largement pointée du doigt par toutes les enquêtées indépendamment de leur âge et du territoire où elles [les jeunes filles vivant sur les territoires ruraux] résident. »
Proposition 7 : Renforcer l’accessibilité à la mobilité ferroviaire, notamment en milieu rural. Il est plus que nécessaire de développer des lignes de Trains Express Régionaux (TER), pour permettre une alternative à la voiture en milieu rural. Afin de rendre plus accessible les mobilités douces, grâce à davantage de tarifs réduits pour les moins de 25 ans, qu’ils soient étudiants ou non, et qu’ils soient issus des milieux ruraux comme urbains. Il est aussi possible de repenser les mobilités partagées (covoiturage, auto-stop, etc.) en lien avec les collectivités territoriales.
Proposition 8 : Permettre à tous les jeunes de vivre une expérience dans un pays européen. A travers cette proposition, nous entendons faire en sorte que « la moitié d’une classe d’âge ait passé, avant ses 25 ans, au moins six mois dans un autre pays européen » comme le Président de la République l’avait mentionné dans son discours à la Sorbonne, en 2017.
Démocratie et participation :
Aujourd’hui, les jeunesses sont organisées dans des corps intermédiaires (associations, syndicats, partis politiques) et portent des propositions. Le lien de confiance entre les organisations de jeunesse et les pouvoirs publics doit être retissé, à travers une réelle construction commune des politiques pour les jeunes. Il est nécessaire de reconnaître les savoirs, savoir-faire et savoir-être, acquis par les jeunes dans leurs parcours d’engagement.
Proposition n° 9 : Financer les organisations de jeunesses, dans leur fonctionnement, pour reconnaître leur rôle dans la formation politique des jeunes et à la prise de responsabilités, dans un esprit d’éducation populaire.
Proposition n°10 : Donner plus de pouvoir aux jeunes de moins de 30 ans, dans les espaces de décision qui les concernent en :
- Octroyant à nouveau le même nombre de sièges pour les organisations de jeunesse au CESE ;
- Abaissant l’âge d’éligibilité au Sénat à 18 ans ;
- Reconduisant un comité interministériel de la jeunesse associant les organisations de jeunesse ;
- Revalorisant le Conseil d’Orientation des Politiques Jeunesses (COJ).
○ Augmenter les moyens d’action du COJ et le pérenniser en l’inscrivant dans la loi.
○ Réaffirmer que le COJ est sous la tutelle du Premier Ministre, pour une véritable transversalité des politiques de jeunesse et une meilleure prise en compte des propositions du COJ.
- Appliquant un décret à la loi Egalité Citoyenneté de 2017, pour permettre de déployer les dialogues structurés territoriaux ;
- Formant les élu.es et les services publics à la participation des jeunes, à la co-construction des politiques publiques, à la notion de partenariat avec les associations de jeunesse et d’éducation populaire.
[1] Enquête Focus Jeunes CFDT de juin 2021 – 2226 jeunes répondants
[2] Analyses et Synthèses » n°19 de décembre 2018 intitulé « Avoir son propre chez soi : une envie omniprésente chez les jeunes»
[3]« Les filles du coin – enquête sur les jeunes femmes en milieu rural », par Yaëlle Amsellem-Mainguy (septembre 2019) https://injep.fr/publication/les-filles-du-coin-enquete-sur-les-jeunes-femmes-en-milieu-rural/